Commentaire de l’Ecriture, La Croix, 3ème dimanche de carême, année A

Ex 17, 3-7
Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9
Rm 5, 1-2.5-8
Jn 4, 5-42

Partageons la parole de Dieu avec sœur Bénédicte Rollin, de la communauté des religieuses de l’Assomption de Vilnius (Lituanie).

« Cinq maris… et l’homme que tu as maintenant n’est pas ton mari. » Cette femme avait vraiment une vie sentimentale agitée ! Mais le propos n’est pas anecdotique. La femme, comme les autres interlocuteurs de Jésus des grands dialogues johanniques, représente une catégorie de gens auxquels il est envoyé. Ici les Samaritains dont la religion est syncrétique et dont le « sixième mari », le Dieu d’Israël, n’est pas vraiment l’époux. En effet, selon le récit de 2R 17, quand les Assyriens envahirent la Samarie en 721, ils déportèrent les habitants et installèrent d’autres populations. Celles-ci apportèrent cinq dieux dont ils mêlèrent le culte à celui du « dieu local », vénéré à Jérusalem. Ici joue le symbolisme nuptial de la scène. Elle se passe près d’un puits, comme trois scènes fameuses de la Torah qui préparent les noces d’Isaac, de Jacob et de Moïse (Gen 24, Gen 29 et Ex 2, 19‑21). Dans les deux dernières, on trouve le même motif qu’ici : la femme, après sa rencontre auprès du puits, rentre en hâte à la maison parler aux siens qui invitent alors l’inconnu chez eux, et le tout se termine par des noces. Jésus vient donc ici comme le véritable Époux inaugurer l’heure où les Samaritains, par lui, entreront dans l’Alliance et dans l’adoration véritable.

Méditer

Jésus « devait traverser la Samarie ». Détail étrange, car le trajet normal pour les Galiléens se rendant à Jérusalem était de faire le détour par la vallée du Jourdain. Ce « devait » dit donc une intention qui est éclairée au v. 34 : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé. » Jésus est ici l’envoyé, et, fatigué par sa mission, il se met à l’endroit où doit se produire la rencontre pour laquelle il est venu et qu’il désire. Me laisser rencontrer par Jésus qui m’attend…

Assis au bord du puits. L’image rappelle le « mot de passe » utilisé par Christian de Chergé et son ami Mohammed pour prendre un rendez-vous spirituel : « Il y a longtemps que nous n’avons pas creusé notre puits ! » Un puits où l’on trouve « l’eau de Dieu » (1)… « Si tu savais le don de Dieu », dit Jésus, et un peu plus loin : « Qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissant dans la vie éternelle. » Et, en Jn 7, 37‑39 : « Si quelqu’un a soif (…) de son sein couleront des fleuves d’eau vive. » Quand on vient vers Jésus, on passe de l’eau du puits à une source inépuisable qui jaillit au fond de nous-même. L’évangéliste nous dit qu’il s’agit de l’Esprit. Quelle est mon expérience de cette source ?

« Si tu savais le don de Dieu »… « Don, donner », le terme revient 78 fois dans Jean ! Laisser résonner ces mots vibrants d’une promesse…

La femme au v. 19 pose une question qui lui tient à cœur. « Interroger Jésus » revient plus de 25 fois dans Jean. Nous-mêmes, dans la prière, savons-nous l’interroger plutôt que de nous parler à nous-mêmes ? La question porte sur le lieu de l’adoration : le mont Garizim ou Jérusalem ? Jésus écarte les fausses solutions. Car il s’agit d’adorer le Père dans l’Esprit et dans la vérité qu’il est Lui, l’exégète du Père (Jn 1, 18). L’espace de la véritable adoration, c’est la Trinité elle-même. Et celui qui ouvre cet espace dit ces mots inouïs : « Je suis, moi qui te parle »… Accepter d’entrer dans cette intimité de l’adoration véritable, « très au-delà des sens et du savoir » selon les mots de Jean de la Croix…

Prier

Que ma soif rencontre Ta soif. Que je sache rejoindre l’eau vive qui murmure en moi « viens vers le Père ». Et que je sois, comme la Samaritaine, l’envoyé qui invite les autres à venir à toi, Église « en sortie » à la rencontre des soifs humaines.

(1) Prier quinze jours avec Christian de Chergé, de Christian Salenson, Nouvelle Cité, 2006.