Commentaire de l’Écriture, La Croix, 4ème dimanche de carême, année A

 

1 S 16, 1b.6-7.10-13a
Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
Ep 5, 8-14
Jn 9, 1-41

 

Partageons la parole de Dieu avec Marina Poydenot, sœur consacrée de la Communauté du Chemin Neuf, à Chartres

COMPRENDRE

Les paroles de Jésus, même quand elles affirment, sont du ressort de la question. Là où souvent les réponses ferment, la question ouvre. Ainsi l’affirmation de Jean : « C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles. » (Jn 9, 39). Citant Isaïe 6,9, Jésus se présente comme un prophète dont la parole, venant de Dieu, peut recréer le monde à partir de ses brisures. C’est ce qu’induit le mot  »jugement », dont la racine grecque renvoie au verbe  »séparer » (Genèse 1) : de même qu’au commencement Dieu a séparé lumière et ténèbres, de même la parole énigmatique de Jésus opère un tri à la racine du cœur… si celui-ci consent à se reconnaître mêlé ! S’il refuse, la lumière qu’est le Christ ne pourra éclairer que son refus et le fait qu’il s’aveugle. Alors ce cœur qui disait y voir clair soudain ne voit plus rien. Heureuse brèche où peut se déverser le ciel, pardonnant, recréateur !

MÉDITER

Quelle ironie, géniale et salubre, dans cette histoire de l’aveugle-né ! Les disciples et les pharisiens, eux, ne sont pas des aveugles. Mais le regard qu’ils posent sur l’aveugle-né, en se laissant fasciner par son mal et ne voyant plus que lui, se retrouve du même coup frappé de cécité : ils se mettent à penser que l’aveugle-né a quelque part bien mérité son mal, car il a sûrement, lui ou ses parents, fait du mal. Ils le condamnent ainsi à une double peine. C’est que le mal est aveuglant ! Il en rajoute, noircit le tableau, fait croire qu’il n’y a plus que lui. A-t-il donc finalement si peu de consistance qu’il doive, comme un chaton apeuré, faire le gros dos ?

La bonté au contraire ne sature pas le paysage. Elle est comme la lumière qui fait voir les choses sans se faire voir. Elle supporte l’existence du mal car elle a, dans son innocence même, plus de tours dans son sac que lui. Mais la bonté ne fascine pas. En quelque sorte invisible, elle demande pour être vue un regard qui soit lui-même bon, qui soit lui-même transparent.

Comment donc Jésus regarde-t-il l’aveugle-né ? Il ne voit que son cœur ouvert à Dieu et déjà l’ouverture de ses yeux. Aux disciples qui lui demandent pourquoi l’homme est né aveugle, si c’est lui ou ses parents qui ont péché, Jésus répond que ce n’est pas la question. La seule question est que Dieu, parce qu’il est bon, de tout mal tirera un bien. Jésus, voyant le mal, ne regarde que son Père, source éternelle de création. Il puise dans ce regard de quoi ré-éditer, avec sa propre salive et de la boue, le geste créateur. Ainsi de nous : comment regarder le mal du monde, le mal des cœurs, ce mal qui fait tellement de mal ? Peut-être faut-il accepter de le voir sans trop le regarder. Refuser de croire que sa destruction aura le dernier mot. Plonger notre regard dans le regard du Christ et se laisser inspirer.

PRIER

Seigneur Jésus

qui voyais dans une même lumière

l’herbe des champs habillée de frais par le Père

et la mauvaise herbe, qui poussera jusqu’au temps fixé,

enlève la poutre de mon cœur, la paille de mes yeux,

donne-moi de regarder dans les convulsions de ce temps

ta création, fragile et merveilleuse,

qui gémit dans des douleurs d’enfantement,

souffrances sans commune mesure

avec le sourire qui se révélera.