Commentaire du 7ème dimanche du temps ordinaire, La Croix,année A

Lv 19, 1-2.17-18
Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13
1 Co 3, 16-23
Mt 5, 38-48

Partageons la parole de Dieu avec le frère Norbert, prémontré de l’abbaye Saint-Martin de Mondaye (Calvados).

Comprendre

Jésus nous aurait-il trompés ? En effet, au début du Sermon sur la montagne, dont l’évangile de ce dimanche est extrait, il avait déclaré ne rien vouloir changer à la Loi (Mt 5, 17-20). Cette dernière occupait une place centrale dans le judaïsme, et c’est pourquoi il affirmait ne pas vouloir en abolir le moindre point d’un iota, c’est-à-dire sur la plus petite lettre de l’alphabet grec. Montant sur la montagne et s’asseyant, « ouvrant la bouche » (selon le texte grec) et enseignant ses disciples attroupés autour de lui, Jésus se présente comme un maître de la Loi. Les auditeurs de Jésus s’attendaient peut-être à un exposé rigoureux d’un rabbin pointilleux. Pourtant, dans la suite de son discours, Jésus énonce six antithèses (« on vous a dit, mais moi je vous dis »). Ce geste oratoire, d’apparence banale, relève en fait d’une audace inouïe : cet homme ose réinterpréter la Loi ! Ce faisant, Jésus accomplit deux gestes qu’il faut distinguer : d’une part, il s’inscrit résolument dans la continuité du Dieu d’Israël (ce qui, à leurs oreilles, équivaut à un blasphème), d’autre part, il conteste l’étroitesse de l’interprétation légaliste des commandements (ce qui constitue un motif de scandale). Dans Jésus de Nazareth, Joseph Ratzinger-Benoît XVI a montré qu’au seuil de l’évangile de Matthieu, Jésus est présenté comme le nouveau Moïse, c’est-à-dire comme le nouveau législateur, venu libérer les hommes des errances dans l’application de la Loi. Ainsi, Jésus ne nous a pas trompés ; il a évité que nous nous trompions.

Méditer

« Œil pour œil, dent pour dent ». Cette règle, devenue proverbiale, peut nous sembler cruelle. Nous en comprenons cependant aisément la logique : il s’agit de réparer le mal qui nous a été fait. À celui qui m’a volé une vache, j’en dérobe une à mon tour, pour compenser le mal dont j’ai été victime. Dans cette logique de réparation – qui continue d’inspirer les systèmes judiciaires contemporains et les arsenaux pénaux qui y sont afférents –, la loi du talion apportait une correction majeure, qui est aussi la condition de la réparation : la juste proportion. Ainsi, un œil vaut un œil, une vache vaut une vache. Si ce principe de proportion est brisé, alors la réparation vole en éclats, et la spirale de la vengeance est enclenchée. À celui qui m’a volé une vache, je vole un troupeau. Mais ce berger lésé devient mon ennemi : il me dérobera les deux troupeaux et incendiera ma ferme. Le talion est donc le remède à la vendetta.

Mais Jésus éclaire la loi du talion d’un jour nouveau. En bon maître de la Loi, il procède en deux étapes. D’abord, il énonce le principe : « Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant » (Mt 5, 39a). Ensuite, il déroule quatre applications de ce principe, qui sont autant de situations concrètes de la vie quotidienne : celui qui nous gifle, qui nous assigne en justice, qui veut marcher avec nous ou qui nous adresse une demande (Mt 5, 39b-42).

À ce stade de notre méditation, nous risquerions de penser que le talion se trouve tout bonnement révoqué par Jésus. Or il n’en est rien : la lecture des quatre situations qui exemplifient le principe révèle plutôt une autre logique, celle du double. Pour une gifle, deux joues ; pour une tunique, un manteau ; pour mille pas, deux mille ; pour une demande, un don. Ainsi, Jésus double la proportion, et nous fait entrer dans une logique de surabondance. La nouvelle interprétation du talion est celle de l’amour, et la suite de l’évangile d’aujourd’hui le confirme : aimer son ami, c’est bien ; aimer son ennemi, c’est mieux. L’amour dépasse la mesure, de sorte qu’en aimant, nous nous dépassons nous-mêmes, devenant « parfaits comme notre Père céleste est parfait » (Lv 19, 2).

Prier

Dieu notre Père, tu nous as envoyés ton Fils pour nous révéler, par ses paroles et par sa vie, la logique de l’amour. Donne-nous ton Esprit, qui renouvelle toutes choses, pour qu’il nous aide à nous conformer à ton Fils, afin qu’à notre tour, nous donnions notre vie par amour, pour servir tous les hommes, faisant de chacun notre prochain, toi qui règnes pour les siècles des siècles.