Est-il raisonnable d’espérer en temps de crise ?

Après le premier confinement, le Père Lémonon écrivait ce texte pour la revue Arcades… quelques mois plus tard, alors que nous vivons un nouveau confinement plein d’incertitudes, nous pouvons le relire et réfléchir à nouveau à l’espérance…

Est-il raisonnable d’espérer en temps de crise ?

Fin février-début mars nous avons été surpris, un nuage se dessinait à l’horizon. Tout d’abord, la menace parut lointaine, puis elle s’est précisée. L’événement nous a sidérés, nous avons passé deux mois en confinement, une situation totalement inédite.  Au début, beaucoup de personnes étaient persuadées que le temps de confinement serait bref, et que, dès la fin de celui-ci, nous retrouverions une vie analogue à celle qui régnait précédemment. Il fallut assez vite déchanter et prendre acte de la réalité de la situation en France et au-delà de nos frontières. Les déclarations officielles et les bulletins quotidiens du directeur général de la Santé nous ont mis face à la gravité de la situation.

Nous allions de surprise en surprise, et surtout, chaque jour, nous sentions notre impuissance se manifester. Nous étions démunis, et seuls le confinement et le dévouement d’un certain nombre de travailleurs dans le monde de la santé, bien sûr, mais aussi dans celui de l’agroalimentaire, du nettoyage, du transport… évitaient que le pays sombre dans un marasme dont il serait très difficile de sortir. Dans une culture où tout est organisé pour qu’il n’y ait pas d’imprévu nous découvrions l’inattendu. Nos faiblesses collectives apparaissaient au grand jour. Au fur et à mesure que le confinement se prolongeait, et lors de la sortie de celui-ci, une crise économique sans précédent apparaît. D’une façon ou d’une autre, elle touche plus ou moins tous les domaines.

Faut-il alors sombrer dans une sorte de défaitisme ou au contraire vivre ce temps en renouvelant notre espérance et en donnant à celle-ci un visage concret ? Très fréquemment espoir et espérance sont confondus, or, pour des chrétiens, il s’agit de deux réalités fort différentes. L’espoir trouve son origine dans le désir humain d’un avenir meilleur, hélas ! souvent déçu. L’espérance est un don de Dieu qui permet de traverser les épreuves. « C’est cette capacité de croire au-delà des raisonnements humains, de la sagesse et de la prudence du monde, de croire en l’impossible. Mais c’est un chemin difficile !… L’espérance n’est pas une certitude qui mettrait à l’abri du doute ou de la perplexité, elle ne dispense pas de voir la dure réalité, ni d’en accepter les contradictions. » (François)

Même si elle est un don de Dieu, l’espérance ne va pas de soi, Charles Péguy a laissé un texte célèbre qui manifeste bien la difficulté d’être des femmes et des hommes d’espérance :

« Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.… Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout. Cette petite fille espérance.
Immortelle ».

Et pourtant l’espérance caractérise la vie chrétienne. Dieu n’a-t-il pas assuré que, depuis la résurrection de Jésus, les forces de mort ne peuvent pas l’emporter sur la vie. Lorsque nous lisons un des derniers discours de Jésus à ses amis avant d’entrer dans sa passion, nous sommes frappés à la fois par son réalisme et l’espérance confirmée (Mc 13,1-37). Jésus n’hésite pas à annoncer aux siens qu’ils connaîtront des difficultés, bien plus des épreuves, mais, malgré tout, la lumière ne cessera pas de briller. Rien ne peut l’éteindre, car, malgré des périls, nous marchons vers « un ciel nouveau » et « une terre nouvelle » (Ap 21,1) ? Ce temps d’épreuve, vécu dans l’espérance et la confiance, peut être un temps fécond. Car l’espérance appelle à l’action, nous sommes tous invités à donner un visage à cette terre nouvelle. Cependant, nous devons avoir l’ambition modeste et ne pas penser que, livrés à nos seules forces, nous pouvons parvenir à la plénitude. La modestie humaine surgit de l’épreuve.

Nous avons pris davantage conscience du mal que nous faisons subir à notre planète, à notre « maison commune », selon l’expression judicieuse du pape François. En publiant l’encyclique Laudato si, voici cinq ans, celui-ci avait d’ailleurs dénoncé les maux que nous infligeons à cette « maison commune » et prôné des conversions. Nous découvrons la nécessité de prendre des mesures urgentes pour sauvegarder ce bien précieux. Il serait dangereux de laisser cette responsabilité aux seuls gouvernants, nous sommes concernés, c’est l’affaire de chacun d’entre nous. Ce temps nous a conduits aussi de manière simple à prendre soin les uns des autres. Un défi nous est lancé : ce qui s’est passé en ces temps difficiles va-t-il continuer, bien plus, progresser, se raffermir ? Telle est notre espérance.

Jean-Pierre Lémonon.