Pour méditer l’Annonciation

Message du père évêque :

Après la mise en quarantaine du groupe des pèlerins du diocèse, nous voici de nouveau à Nazareth avec cette scène de l’Annonciation, méditée en profondeur par le cardinal Jean Marie Lustiger dans cette homélie de l’an 2000. De quoi nourrir votre méditation en cette soirée du 25 mars, où toutes les églises de France feront sonner leurs cloches et où nous sommes invités à lire le récit de l’Annonciation (Luc 1, 26-38). Que la lumière que nous mettrons à nos fenêtres témoignent de notre foi délivrée de la peur. « Disons avec Marie : Voici, Seigneur, je suis ta servante, ton serviteur. Que tout se passe pour moi selon ta parole. Que Marie nous prenne par la main en nous disant : N’aie pas peur, il t’aime ; fais tout ce qu’il te dira » !

NE PAS AVOIR PEUR DE L’AMOUR DE DIEU Une homélie du cardinal Jean Marie Lustiger, Sur l’Annonciation à Nazareth, en février 2000.

Chers frères, Lorsque nous tournons notre regard vers Dieu qui dépasse toute idée, nous portons avec nous un nuage d’incertitude. Les questions de nos contemporains sur ce qu’Il est et la réalité de son existence les empêchent parfois de répondre à la question que Dieu leur pose.

Ici, en Terre Sainte, la Parole s’est faite chair. Elle s’est faite d’abord parole humaine, se disant dans le cœur du peuple d’Israël, lui révélant le sens et la beauté de la vie de l’homme avec sa vocation à la sainteté. Le choc du réel de Dieu Et la Parole invisible, infinie, le Verbe de Dieu, le Fils éternel du Père a pris chair dans le sein de la Vierge Marie. Voilà ce qui nous rassemble aujourd’hui en ce lieu.

Cette Terre par son réalisme nous apprend la présence et la puissance de la Parole de Dieu faite chair, et en même temps son humiliation volontaire lorsque Dieu se fait l’un de nous pour nous sauver. Il vient jusqu’à nous parce qu’il nous aime ; il vient parmi nous parce que nous venons de lui. Dieu n’est pas une question que nous nous posons ; c’est lui qui nous interroge. Ici, le choc du réel de Dieu bouleverse les préjugés, les hésitations, les doutes. Non pas pour qu’ils se dissipent et se transforment en certitudes toutes acquises et faciles ; mais parce que la puissance de cette Parole nous rendra peut-être capables non seulement de l’écouter dans nos détresses, selon notre désir, mais aussi de reconnaitre en vérité Celui qui nous appelle, nous fait vivre et nous sort de nous-mêmes.

Marie, en ce lieu, «quand vint la plénitude des temps» (Ga 4, 4), avec la grâce qui lui est donnée, entre dans ce dialogue de la créature avec son Créateur. Car la Parole qui lui est dite est la Parole divine. L’ange n’est que le messager dont cette Parole se voile pour ne pas éclabousser des yeux et des oreilles qui ne supporteraient pas la gloire de Dieu. Nous avons chanté le Psaume 39 que Jésus a dit dans sa Passion, comme le rappelle l’Epître aux Hébreux : «De sacrifice et d’offrande pour le péché, tu n’as pas voulu. Mais tu m’as formé un corps… Alors j’ai dit : «Me voici ; je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté».

Peut-être alors serions-nous tentés de nous laisser ressaisir par nos pensées familières : non plus le doute, mais la peur. Quelle peur ? Ce n’est pas la peur de Marie lorsque, bouleversée, elle se demande ce que signifie cette salutation et que l’ange lui répond : «Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu». Notre peur vient de ce que nous n’entendons pas celui qui parle ni ce qu’il nous dit. Nous ne faisons qu’écouter ce qui, au fond de nous, se rebelle ou se recroqueville. Nous avons peur de perdre, de nous perdre. Nous avons peur que beaucoup nous soit demandé. Demandé par qui ? Parce celui que nous ne connaissons pas ? En fait, nous avons peur parce que nous savons, nous, ce qu’à ce moment-là Marie ne sait pas : le chemin du Fils de David, du Fils du Très-Haut dont «le règne n’aura pas de fin».

Certes, Syméon va lui annoncer le mystère de sa transfi xion, de sa douleur : «Un glaive te transpercera le coeur… Cet Enfant sera un signe de contradiction». Mais le temps d’une vie humaine doit s’écouler avant que Marie ne soit debout au pied de la Croix ! Or, nous qui avons cette grâce d’être nés dans le temps de l’Esprit, temps du Seigneur ressuscité, nous qui avons reçu l’annonce de sa Passion, de sa mort et de sa Résurrection, nous ne retenons que l’instant des douleurs et la crainte de perdre ! Nous avons peur : peur pour nous, peur de ce que nous sommes et peur de ne plus l’être. Marie n’en est pas là et d’emblée elle nous montre le chemin. Pourquoi ? Parce que la première manière dont Dieu s’adresse à nous, à l’humanité, est de se donner et de nous donner tout. Si Marie s’effraie et s’interroge, c’est parce que le don lui paraît sans mesure avec ce qu’elle est : il est inimaginable et déborde de toutes parts ce dont elle se pense digne. Ce qui la fait reculer, l’espace d’un instant, c’est non pas l’amour de Dieu, mais la grandeur de cet amour à son égard.

Et parce qu’elle est déjà établie dans ce don d’elle-même, en toute liberté elle peut répondre : «Qu’il me soit fait selon ta Parole». Elle accepte une grâce immense dans l’humble disponibilité et la joie reconnaissante. Peu de jours après, lors de la Visitation, son chant sera du début à la fi n un chant d’action de grâce : «Mon âme exalte le Seigneur ; il a fait pour moi des merveilles». Comblés de grâce, nous aussi Alors, de quoi avons-nous peur ? Nous devrions nous aussi, laisser Dieu nous donner tout et nous dire : «Sois sans crainte, tu as trouvé grâce auprès de moi».

Comment pouvons-nous affirmer cela ? Parce que le Christ a versé son sang pour nous, nos péchés sont pardonnés, la Rédemption est accomplie et l’Esprit est répandu dans nos cœurs. Oui, nous sommes comblés de grâce. Après le temps du désert, après avoir aperçu les abîmes entre lesquels l’homme s’aventure et oscille lorsque Dieu s’adresse à lui et vient le chercher, ici nous est révélée la plénitude que Dieu nous donne et que nous devons accepter en disant : «Oui, Seigneur, donne-moi ton amour, je le désire», plutôt que : «Seigneur, j’ai peur de ce que tu vas me demander». Disons-lui : «Je me réjouis de ce que tu veux me donner et de ce que tu me donnes», plutôt que : «Je crains de perdre ce que tu me prendras». Il nous donne tout, la vie, son amour et le reste par surcroît.

En recevant le don de Dieu, le Fils lui-même venu en notre monde nous appeler à devenir enfants de Dieu, disons avec Marie : «Voici, Seigneur, ta servante, ton serviteur. Que tout se passe pour moi selon ta parole». Que Marie nous prenne par la main en nous disant : «N’aie pas peur, il t’aime ; fais tout ce qu’il te dira».

Cardinal Jean-Marie Lustiger, dimanche 13 février 2000, homélie pour la Messe de l’Annonciation

(Isaïe 7, 10-14 ; Hébreux 10, 4-10 ; Luc 1, 26-38)