Commentaire de l’Ecriture La Croix, 7ème dimanche du temps Pascal

(Ac 7, 55-60)
(Ps 96 (97), 1-2b, 6.7c, 9)
(Ap 22, 12-14.16-17.20)
(Jn 17, 20-26)

L’arme de la prière

Comment parler à Dieu ? Qu’est-ce qui nous motive pour nous adresser à lui ? Quelles paroles utiliser pour prier ? Souvent nous nous appuyons sur des formulations que d’autres, avant nous, ont adressées au Très-Haut. Ou nous nous présentons à Lui avec les besoins du moment : demandes pour recevoir du réconfort, la paix pour le monde, le pardon pour nos fautes. Heureusement, nous ne sommes pas seul.e.s, nous avons un maître à côté de nous. Sur ce chemin de la prière il s’agit de suivre, d’écouter le Christ. Nous vient alors à l’esprit cette prière que les deux évangélistes Matthieu et Luc nous proposent (sous des formes différentes) et que nous prions si souvent, seul.e ou ensemble. « Notre Père… ».

Mais qu’en est-il des deux autres évangélistes, Marc et Jean ? N’en parlent-ils pas ? Non. En tout cas pas sous cette forme qui nous est si familière. Mais Jean nous transmet dans son évangile une prière de Jésus qui est d’une rare densité. Pourtant, ni le catéchisme ni la liturgie ne nous proposent de l’apprendre par cœur. Trop difficile à comprendre. Trop long pour une récitation personnelle ou communautaire. Il est vrai : le texte de Jean occupe un chapitre entier de son évangile.

Néanmoins, j’ai connu une situation où l’on invitait les jeunes à s’approprier cette prière en l’apprenant par cœur, si possible dans une langue autre que la langue maternelle. C’était en Slovaquie, du temps du communisme. Les chrétiens devaient vivre leur foi de manière cachée, clandestine. Mais des délations, des trahisons étaient fréquentes. Suivies par de la prison, des privations de sommeil, des pressions, des maltraitances pour briser l’autonomie psychologique et la liberté spirituelle. Évidemment aucun contact avec l’extérieur n’était permis, ni avec la famille ni avec les amis.

La prière était alors la seule arme disponible pour tenir dans la résistance. Prier comme Jésus, la veille de sa mort. Prier, non pas tant pour être relâché mais pour ne pas se laisser séparer de la confiance en Dieu ou se laisser diviser intérieurement.

Les jeunes que j’ai rencontrés avaient appris par cœur l’ensemble du chapitre 17 de l’Évangile de Jean. Ils connaissaient les mots de cette prière. Mais aussi sa force. Ils en étaient convaincus : le Christ lui-même continue à prier ainsi aujourd’hui, en permettant de s’associer à lui. Bien plus, en permettant d’accueillir au fond de soi sa présence et son mouvement vers le Père, source de tout amour.

À nous, la liturgie propose ce texte en tant que lecture. Pourtant, le premier destinataire de ces paroles demeure celui que Jésus nomme « Père juste » et à qui il confie sa vie, le non-achèvement de sa mission, les générations futures qui reconnaîtront le Christ grâce au témoignage des disciples… Cette prière est comme un testament, l’expression riche d’une dernière volonté cachée dans un langage dense et complexe.

« Qu’ils soient un tout comme nous. » Une écoute nuancée de ces paroles nous préserve d’un malentendu important. L’unité dont il est question ici n’est pas synonyme de fusion, d’indifférenciation, d’uniformité ou de confusion. Au contraire elle est dynamique, mouvement et accueil ; don et tâche qui inscrivent une note eschatologique au creux de l’histoire. Elle manifeste le souffle créateur. C’est parce que les disciples se trouvent au centre de la prière de Jésus et donc de l’offrande de sa vie, que le Père pourra être reconnu par ceux qui sont appelés « le monde ». Ce terme, bien inhabituel pour nous dans l’usage qu’en fait l’évangéliste, indique une existence refermée sur elle-même, une sorte d’auto-emprisonnement, d’auto-esclavage. Un monde privé d’amour.

« Je suis en toi, dit Jésus, comme tu es en moi. » À partir du moment où les disciples perçoivent ce mystère avec les yeux du cœur, ils pourront se tenir ensemble dans un amour fraternel. Leur unité dans l’immense diversité des langues et des traditions se fonde sur l’accueil de la prière ardente du Christ : que le monde vienne à reconnaître l’amour du Père.

 

Agnes von Kirchbach