Commentaire La Croix, 4ème dimanche de carême, année C

Quel héritage ?

Luc 15, 1-3;11-32

 

Le Nazaréen parle souvent en paraboles. En recourant à ce genre littéraire, Jésus ne porte pas de jugement sur ses contemporains, mais il cherche à les faire réagir pour qu’ils choisissent eux-mêmes le chemin leur permettant de se réaliser dans leur humanité. Pas de culpabilité, mais, au contraire, une levée de celle-ci pour une plus grande liberté, qui peut éventuellement conduire à un changement dans sa manière d’être. C’est encore le cas dans la parabole dite du fils prodigue tirée de l’Évangile de Luc, qui comporte deux niveaux de lecture : le premier détaille des conditions de l’existence humaine, le second se situe sur un plan théologique, l’expérience humaine étant source de théologie.

Dans cette parabole, nous pouvons nous projeter dans les trois protagonistes, le père et chacun des deux fils, et nous y reconnaître. Le plus jeune se piège lui-même parce que précisément jeune, autrement dit sans expérience, en se laissant guider plus par ses pulsions que par la raison. Le second fils préfère ne pas prendre de risque et choisit d’obéir à son père pour mériter son affection. Le père, fort de sa propre expérience, accepte la faiblesse humaine pour la dépasser dans le pardon au profit d’un apprentissage de l’humain et d’une construction de soi-même. C’est par un acte d’amour, le pardon, en accueillant en lui l’humain, qu’il peut en faire de même vis-à-vis de ses deux fils.

Dans une grande pertinence psychologique des individus, cette parabole du fils prodigue permet à Jésus d’inviter ses interlocuteurs à découvrir à partir de leur expérience de la vie un autre visage de Dieu : un Dieu Père. Son amour pour les hommes permet à ceux-ci d’accéder à leur liberté, d’en prendre les risques et de devenir eux-mêmes ; de s’aimer en s’accueillant tels qu’ils sont et aimer les autres tels qu’ils sont également pour un ­vivre-ensemble. Il est bien question d’un héritage, mais celui-ci se reçoit dans l’acte d’amour d’accepter l’autre : entrer dans une histoire, découvrir le « père » en devenant « fils » et découvrir le « père » en devenant « frère », dans un même mouvement.

En fait, les deux niveaux de lecture se rejoignent : l’acte d’amour impose aux uns et aux autres – dans la parabole, au père comme aux fils – de mettre une limite à son désir de toute-puissance. à cette condition, l’échange et donc la vie est possible. L’humain a un devenir. Et c’est toujours Dieu qui fait le premier pas et délivre ainsi l’homme.

L’actualité est à lire à travers cet « enseignement ». Si aujourd’hui nous assistons dans le monde à une escalade de la violence, avec parfois en France un refus de l’autorité, c’est peut-être parce que, précisément, parmi d’autres causes, l’évolution des sciences et des technologies, celle de la société et des mentalités, ont comme conséquence l’impossibilité psychique à l’homme d’accepter la limite et donc d’en mettre une à ses désirs de toute-puissance. Or, sans limite, c’est la destruction et, in fine, la mort (le « suicide » ou le « naufrage » des civilisations dont parlent actuellement les sociologues).

L’Église, dans ce qu’est l’annonce de la Bonne Nouvelle, a plus que jamais un rôle à jouer dans ce redoutable défi. Pas en se mettant dans la position du Maître qui sait tout d’avance, mais, au contraire, dans celle, humble, de celui qui s’interroge avec les autres pour découvrir ensemble comment avancer. Alors, il y aurait bien « enseignement » ou « héritage » qui passerait, comme dans la parabole, par l’expérimentation, la prise de risque et le questionnement faisant appel à l’interprétation de et par soi-même. Un enseignement qui permettrait à quiconque de recevoir le plus important, l’apprentissage de l’écoute de « l’autre », à commencer par soi-même. Ce positionnement-là pourrait être un signe d’amour dans un langage universel, un signe ouvrant le décryptage par tous de l’amour d’un Dieu « Père » qui écoute et entend. N’est-ce pas Yahvé qui dit à Moïse : « Puisque le cri des fils d’Israël est venu jusqu’à moi (…) va maintenant; je t’envoie vers le Pharaon, fais sortir d’Égypte mon peuple » (Ex 3, 9-10) ?

Daniel Duigou