Commentaire La Croix 4ème dimanche ordinaire année C

 

Une largeur d’avance,

Lc 5, 1-11

A première lecture, on se croirait presque à un spectacle : l’exceptionnelle fécondité du lac, le déchirement des filets, l’enfoncement des barques, l’effroi de Simon-Pierre et de « tous ceux qui étaient avec lui ». Quelques versets suffisent à rejoindre « Le plus grand cabaret du monde ». Quand l’Évangile se met sur son 31, il multiplie les poissons avec autant de magie que les invités de Patrick Sébastien.

Une autre lecture moins « miraculeuse » et plus proche du souffle qui traverse la scène peut voir dans le texte une sorte de mouvement en trois temps. Au premier verset, Jésus se tient « au bord du lac ». Juste après, il monte dans une barque et demande à Simon « de s’écarter un peu du rivage ». Puis il parle au public, s’arrête et encourage le même Simon à « avancer au large ». Ainsi, en l’espace de quatre versets, l’Évangile trace l’étonnant chemin de « l’annonce » : être proche, s’éloigner, s’enfoncer. Un peu comme si la parole naviguait entre avoir pied et perdre pied.

En bordure du courrier, deux lettres m’entraînent en eau profonde. La première me donne rendez-vous au large de l’amour. La correspondante m’y raconte les secousses de sa barque à l’hôpital : les investigations, le petscan, le bistouri… « Je suis provisoirement ressuscitée, écrit-elle, grâce à de fortes doses de cortisone. » Et grâce à la « tendresse immense » d’un compagnon qui va s’épuiser lui-même dans la traversée. « L’expérience de ces derniers mois me permet d’affirmer que l’assistance mutuelle est un des aspects les plus forts de l’amour. »

L’autre lettre me conduit au large de la mort. Une maman évoque le décès de son jeune fils de 18 ans et confie que pendant des années elle a espéré « un miracle ». Mais elle parle aussi, avec grande délicatesse, de la lésion qu’il portait en lui, une fêlure à travers laquelle passait pourtant « un peu de lumière ». Face à ce « vide immense », elle regarde son fils comme un « grand seigneur » qu’elle va « mettre au monde une deuxième fois ».

Si j’ai bien compris ce récit de « La pêche miraculeuse », le vent de l’Évangile ne pousse pas seulement au large de l’amour et de la mort, il entraîne aussi au large de la vocation : « Désormais ce sont des hommes que tu prendras. »« Que tu prendras vivants ! », précise la traduction de Chouraqui. Et la Bible Bayard, plus proche encore du métier de la pêche : « que tu captureras ».

Pour être sûr de ne pas tomber dans un mauvais filet vocationnel, il est bon de s’interroger sur l’impératif : « avance au large ». J’aime la largeur de la vocation, et que celles et ceux qui se sentent appelés osent prendre une largeur d’avance. De la longueur, il en faut, de la patience, de la fidélité. De la hauteur aussi, évidemment, et de la profondeur : il y va de l’essence même de la vie spirituelle. Mais ne surtout pas oublier la largeur !

Large. De l’ancien français larc et du latin largus, « abondant », « généreux », comme le poisson du lac de Génésareth.

Large. « Qui a une étendue supérieure à la moyenne » suggère Le Robert. Une large rivière, par exemple, mais aussi une large carrure.

Large. « Ouvert », poursuit-il, « pas mesquin », « pas étriqué », « pas borné », « pas tendu ».

Large. « Vaste », dit encore le dictionnaire, « souple » et surtout « libre ».

Un magnifique portrait du disciple, et la garantie qu’il saura élargir et libérer ses vivantes captures…

Gabriel Ringlet