Commentaire de l’Écriture, La Croix, 25ème dimanche du TO, année c

Am 8, 4-7
Ps 112 (113), 1-2, 5-6, 7-8
1 Tm 2, 1-8
Lc 16, 1-13

Le choix de Dieu

 

Pour la réussite d’une vie, les paroles de Jésus posent le problème essentiel, celui de la construction d’une unité intérieure chez un être humain, chez tout être inévitablement affronté à ses divisions. En arrière-fond, le double commandement de l’amour : la relation à Dieu passe par la relation à l’autre dans l’altérité, c’est-à-dire dans la reconnaissance de sa différence.

La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Chaque individu est engagé dans une terrible bataille avec ses pulsions qui le divisent en l’entraînant dans mille et une directions. Il doit y mettre des limites, renoncer à certaines ou les déplacer (la sublimation), s’il veut se construire en tant que sujet, auteur de sa vie, et devenir lui-même, exister par lui-même, autrement dit devenir « quelqu’un ». Mais lui arrive-t-il un jour de n’être plus soumis comme un esclave à ses pulsions qui l’empêchent d’entrer dans une vraie relation à l’autre, son prochain ?

Il y a bien sûr une première étape dans la vie, l’enfance, qui permet par le biais de l’éducation des parents dans le cadre d’une culture d’intégrer des valeurs, des interdits, et de bâtir des « digues » face aux premières pulsions anarchiques et perverses. L’enfant n’est pas un ange ! Mais il y a ensuite la seconde étape, l’âge adulte, pendant laquelle c’est l’individu lui-même qui doit s’imposer des limites et poursuivre sa construction, son individualité, comme un artiste accomplit une œuvre. Dans cette bataille se joue le développement (psychique) de sa personne ou, malheureusement, sa destruction. Elle suppose qu’il fasse en permanence des choix impliquant sa liberté. Une bataille avec lui-même et ses propres démons le rendant si fragile, mais constituant le chemin même de sa liberté pour devenir lui-même.

Jésus s’exprimait dans un contexte social et culturel où, selon le droit de succession ou le droit de propriété, il était possible d’appartenir à deux maîtres. Les rabbins, de leur côté, développaient l’idée que l’individu avait deux maîtres, l’un humain, l’autre divin. Dans ce contexte, la parole de Jésus est d’autant plus étonnante et surtout tranchante : un individu doit choisir, il ne peut avoir qu’un seul et même maître !

Jésus pointe très justement l’emprise de l’argent. Très vite, les premiers commentaires des Pères de l’Église comme Ambroise, l’évêque de Milan, associeront la sexualité à l’argent, l’argent fonctionnant d’ailleurs souvent comme substitut de la sexualité comme moyen d’assouvir une pulsion. Dans le raisonnement du Nazaréen, l’emprise de l’argent, lorsque celle-ci devient l’axe principal d’une vie, s’oppose à une relation « vraie » à l’autre. L’argent étant alors un outil pour dominer l’autre, dans le fantasme de toute-puissance, dans une volonté d’imposer sa loi à l’autre. Cet « autre » n’existe alors plus ; il est réduit à n’être qu’un objet de satisfaction.

Pour Jésus, le seul chemin pour trouver le bonheur de vivre dans une relation vraie à l’autre, c’est de choisir l’amour non de soi, mais de l’autre. Pas de soumission à cet autre, mais une mise à son « service » pour qu’il trouve son propre bonheur. C’est le choix qui unifie la personne.

Enfin, pour Jésus, c’est dans le choix d’une relation positive à l’autre que s’inscrit la relation à Dieu. L’une et l’autre ne font qu’une. Le « maître » n’est plus alors la pulsion qui, seule, est destructrice, mais le désir se transformant en un véritable amour passant par le don de sa vie à l’autre. L’acte du don est celui de la vraie liberté. Elle suppose l’accord de tout l’être qui entre dans la dynamique de la création.

L’intervention de Jésus ne se limite donc pas à l’énonciation d’une morale. Elle est un appel « à la vie », dans une unité intérieure tournée vers l’autre, qui ne peut se réaliser que dans un acte de foi en un Dieu « Père ». La coupure avec l’être pulsionnel tourné uniquement sur lui-même passe par un saut vers l’autre qui est déjà un acte d’amour, mais qui suppose une connaissance de Dieu, une rencontre qui lui révèle son amour infini et rend crédible Sa promesse, dans une confiance absolue. Seul l’amour de Dieu permet la transformation d’un être et sa « réalisation » (Soren Kierkegaard), le faisant passer de la servitude à la liberté d’aimer.

Daniel Duigou